Un socle de croyances animistes et de traditions bouddhistes 1/2

Posted on Fév 15, 2016
Un socle de croyances animistes et de traditions bouddhistes 1/2

La grande majorité des karens de Thaïlande est de religion animiste, c’est-à-dire que les populations croient et rendent un culte aux esprits. Le mode de pensée karen est d’autre part fortement teinté du terreau culturel bouddhiste des thaïs et de logiques comportementales propres à l’Asie. Ces deux aspects, comme l’évolution historique du peuple ou les habitudes de son mode de vie, permettent d’expliquer quelques-uns des traits de caractère caractéristiques de l’ethnie.

L’animisme

La religion animiste est la plus répandue parmi les karens de Thaïlande : un peu plus de 80% des karens le sont. Ils rendent un culte aux esprits en mettant à leur disposition des petites maisons où ils disposent des cadeaux ou de la nourriture aux lieux où ils situent les esprits, le plus souvent une source, une grotte, un vieil arbre… Les esprits peuvent présider au mouvement d’une rivière, s’incarner sous la forme d’oiseaux, résonner au dedans d’un éléphant ou déchaîner les pluies. Ils participent de tout ce que l’homme ne peut expliquer et, d’une autre nature, ils interviennent dans des lieux et des phénomènes interdits à la présence ou à la raison humaine. La nuit, par exemple, où l’homme ne peut voir, est supposée contenir la vie cachée de ces êtres de mystère. Dans la religion animiste, il n’existe pas de puissance unique disposant d’un pouvoir de coercition sur le collège des esprits, ou du moins cette puissance est voilée et n’exerce pas le pouvoir qui est le sien.

Paysage Karen

Si l’idée d’un espace premier contenant des êtres supérieurs aux esprits, auxquels ces derniers devraient obéir existe dans les pensées animistes, cette réalité est indifférente aux hommes et ne participe pas à la vie religieuse. Partant, chaque esprit a un pouvoir propre, par nature intrinsèquement limité, bien qu’il doive lui-même se soumettre aux êtres supérieurs évoqués ci-dessus. Leur sagesse n’est pas absolue. Il est donc envisageable que lesdites puissances se trompent, ou se confrontent à d’autres plus puissantes qu’elles. Leur sphère d’action n’étant pas totale, elles se confrontent toujours à une autre qu’elles-mêmes, et évoluent dans un univers complexe où, si elles disposent du pouvoir de soumettre la nature que n’ont pas les hommes, elles doivent le partager entre elles au gré de leurs relations et de leurs charismes propres. Dans ce contexte, l’homme a la capacité de gagner l’amitié de certains des esprits pour s’opposer à d’autres.

En rendant des sacrifices ou en effectuant des actions qui plaisent aux esprits, il peut se concilier leur faveur pour acquérir leur protection ou gagner par leur alliance les pouvoirs qu’ils détiennent. En ce sens, le sorcier d’un village joue un rôle prépondérant : il connaît les esprits et est capable d’entrer en communication avec eux. Il se fait ainsi l’interprête de la communauté pour intercéder auprès des puissances qui régissent les récoltes, maîtrisent les dangers de la jungle… Il est nécessaire de se concilier les esprits, sans quoi ceux-ci s’acharneront à rendre la vie des producteurs difficile en provoquant catastrophes naturelles ou épidémies. C’est l’esprit qui a le pouvoir sur les fourmis et qui décide que ces dernières iront dévaster une rizière. C’est un esprit qui placera un serpent sur la route de celui contre qui il a un grief. Ce sont des esprits qui meuvent les nuages et décident de la pluie qui viendra féconder les semences… Ils ont pouvoir sur toutes les choses de la nature, aussi leur est-on particulièrement soumis. La soumission absolue aux esprits, pour les animistes, comporte une part de fatalisme. Si c’est un esprit qui a décidé que ma rizière serait ravagée par les fourmis, est-il vraiment nécessaire que je me batte contre elles ? Est-ce que je ne risque pas davantage d’attiser son courroux en m’opposant à ce qu’il a décidé pour moi et pour ma production ? Pratiquement, les cérémonies religieuses consistent en des sacrifices d’animaux au cours desquelles l’ensemble d’une famille ou d’une communauté est réunie autour d’un repas. Les esprits y sont supposés prendre leur part avec les hommes.

Homme karen - Thaïlande

Le repas est organisé en cercle, pour célébrer le noyau protecteur que constitue la communauté et l’ensemble de ses liens face à l’hostilité du monde extérieur. On peut aussi lire le présent dans les oracles, qui décident si les problèmes que rencontrent les uns ou les autres sont résolus. À la mort, le corps d’un homme libère son esprit. Celui-ci peut théoriquement participer à l’existence de ces êtres à qui l’on rend des cultes, et intervenir dans la vie du village ou concilier les autres puissances auxquelles on n’a pas accès vivant. Outre le respect dû à la sagesse et à l’expérience accumulée par les plus anciens, il n’est donc pas inutile de se concilier leur respect et de gagner leur amitié. Cela peut expliquer une part de la soumission aux plus âgés au sein d’une communauté. Il n’existe pas d’organisation de la vie religieuse qui dépasse le cadre d’un village, et encore les choses se cantonnent-elles le plus souvent à la dimension d’une famille.

L’ensemble des croyances est en revanche organisé selon les poèmes d’une longue tradition orale, qui n’a aujourd’hui fait l’objet d’aucune étude. La difficulté réside en ce que tout ce qui concerne la vie religieuse ou affective est exprimé grâce aux mots d’une langue dédiée, poétique et imagée. Ce sont les mots que l’on utilise pour décrire la vie des esprits ou entrer en communication avec eux ; et ce sont les mots que l’on dit quand on parle d’amour, de naissance ou de mort. Il existe traditionnellement des fêtes réunissant plusieurs villages à l’occasion desquelles on organise des joutes oratoires. Semblables compétitions peuvent en outre être l’occasion d’éprouver les capacités et le connaissance des esprits de ceux qui briguent les postes exécutifs d’une communauté.

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