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  • Un socle de croyances animistes et de traditions bouddhistes 1/2

    Un socle de croyances animistes et de traditions bouddhistes 1/2

    La grande majorité des karens de Thaïlande est de religion animiste, c’est-à-dire que les populations croient et rendent un culte aux esprits. Le mode de pensée karen est d’autre part fortement teinté du terreau culturel bouddhiste des thaïs et de logiques comportementales propres à l’Asie. Ces deux aspects, comme l’évolution historique du peuple ou les habitudes de son mode de vie, permettent d’expliquer quelques-uns des traits de caractère caractéristiques de l’ethnie.

    L’animisme

    La religion animiste est la plus répandue parmi les karens de Thaïlande : un peu plus de 80% des karens le sont. Ils rendent un culte aux esprits en mettant à leur disposition des petites maisons où ils disposent des cadeaux ou de la nourriture aux lieux où ils situent les esprits, le plus souvent une source, une grotte, un vieil arbre… Les esprits peuvent présider au mouvement d’une rivière, s’incarner sous la forme d’oiseaux, résonner au dedans d’un éléphant ou déchaîner les pluies. Ils participent de tout ce que l’homme ne peut expliquer et, d’une autre nature, ils interviennent dans des lieux et des phénomènes interdits à la présence ou à la raison humaine. La nuit, par exemple, où l’homme ne peut voir, est supposée contenir la vie cachée de ces êtres de mystère. Dans la religion animiste, il n’existe pas de puissance unique disposant d’un pouvoir de coercition sur le collège des esprits, ou du moins cette puissance est voilée et n’exerce pas le pouvoir qui est le sien.

    Paysage Karen

    Si l’idée d’un espace premier contenant des êtres supérieurs aux esprits, auxquels ces derniers devraient obéir existe dans les pensées animistes, cette réalité est indifférente aux hommes et ne participe pas à la vie religieuse. Partant, chaque esprit a un pouvoir propre, par nature intrinsèquement limité, bien qu’il doive lui-même se soumettre aux êtres supérieurs évoqués ci-dessus. Leur sagesse n’est pas absolue. Il est donc envisageable que lesdites puissances se trompent, ou se confrontent à d’autres plus puissantes qu’elles. Leur sphère d’action n’étant pas totale, elles se confrontent toujours à une autre qu’elles-mêmes, et évoluent dans un univers complexe où, si elles disposent du pouvoir de soumettre la nature que n’ont pas les hommes, elles doivent le partager entre elles au gré de leurs relations et de leurs charismes propres. Dans ce contexte, l’homme a la capacité de gagner l’amitié de certains des esprits pour s’opposer à d’autres.

    En rendant des sacrifices ou en effectuant des actions qui plaisent aux esprits, il peut se concilier leur faveur pour acquérir leur protection ou gagner par leur alliance les pouvoirs qu’ils détiennent. En ce sens, le sorcier d’un village joue un rôle prépondérant : il connaît les esprits et est capable d’entrer en communication avec eux. Il se fait ainsi l’interprête de la communauté pour intercéder auprès des puissances qui régissent les récoltes, maîtrisent les dangers de la jungle… Il est nécessaire de se concilier les esprits, sans quoi ceux-ci s’acharneront à rendre la vie des producteurs difficile en provoquant catastrophes naturelles ou épidémies. C’est l’esprit qui a le pouvoir sur les fourmis et qui décide que ces dernières iront dévaster une rizière. C’est un esprit qui placera un serpent sur la route de celui contre qui il a un grief. Ce sont des esprits qui meuvent les nuages et décident de la pluie qui viendra féconder les semences… Ils ont pouvoir sur toutes les choses de la nature, aussi leur est-on particulièrement soumis. La soumission absolue aux esprits, pour les animistes, comporte une part de fatalisme. Si c’est un esprit qui a décidé que ma rizière serait ravagée par les fourmis, est-il vraiment nécessaire que je me batte contre elles ? Est-ce que je ne risque pas davantage d’attiser son courroux en m’opposant à ce qu’il a décidé pour moi et pour ma production ? Pratiquement, les cérémonies religieuses consistent en des sacrifices d’animaux au cours desquelles l’ensemble d’une famille ou d’une communauté est réunie autour d’un repas. Les esprits y sont supposés prendre leur part avec les hommes.

    Homme karen - Thaïlande

    Le repas est organisé en cercle, pour célébrer le noyau protecteur que constitue la communauté et l’ensemble de ses liens face à l’hostilité du monde extérieur. On peut aussi lire le présent dans les oracles, qui décident si les problèmes que rencontrent les uns ou les autres sont résolus. À la mort, le corps d’un homme libère son esprit. Celui-ci peut théoriquement participer à l’existence de ces êtres à qui l’on rend des cultes, et intervenir dans la vie du village ou concilier les autres puissances auxquelles on n’a pas accès vivant. Outre le respect dû à la sagesse et à l’expérience accumulée par les plus anciens, il n’est donc pas inutile de se concilier leur respect et de gagner leur amitié. Cela peut expliquer une part de la soumission aux plus âgés au sein d’une communauté. Il n’existe pas d’organisation de la vie religieuse qui dépasse le cadre d’un village, et encore les choses se cantonnent-elles le plus souvent à la dimension d’une famille.

    L’ensemble des croyances est en revanche organisé selon les poèmes d’une longue tradition orale, qui n’a aujourd’hui fait l’objet d’aucune étude. La difficulté réside en ce que tout ce qui concerne la vie religieuse ou affective est exprimé grâce aux mots d’une langue dédiée, poétique et imagée. Ce sont les mots que l’on utilise pour décrire la vie des esprits ou entrer en communication avec eux ; et ce sont les mots que l’on dit quand on parle d’amour, de naissance ou de mort. Il existe traditionnellement des fêtes réunissant plusieurs villages à l’occasion desquelles on organise des joutes oratoires. Semblables compétitions peuvent en outre être l’occasion d’éprouver les capacités et le connaissance des esprits de ceux qui briguent les postes exécutifs d’une communauté.

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  • Le code vestimentaire karen

    Le code vestimentaire karen

    Tissage - Codes vestimentaires Karens

    Traditionnellement, chaque Karen porte une tenue propre à son état au sein de la société. Les jeunes femmes non mariées portent une tenue blanche, symbole de pureté ; puis, quand elles sont mariées, elles portent une sorte de longyi (pagne, un tube de tissus) et une chemise dont la couleur dépend de leurs traits de caractère principaux. Les hommes portent le même pagne, et leur chemise illustre de la même manière les personnes qu’ils sont pour leur famille. Le rouge est par exemple symbole de courage, le bleu de pureté.

    Ces considérations sont valables pour l’ensemble des villages des Karens de Thaïlande. Il existe en outre un code permettant d’exprimer les traits de caractères particuliers ou l’appartenance à certaines communautés. Il s’exprime par le biais de motifs spécifiques, dont la réalisation est connue techniquement des familles qui les composent. Les coiffes des femmes sont portées d’une manière qui révèle leur identité communautaire : chaque village a sa manière de porter la coiffe.

     

     

    Mariage KarenOutre les vêtements, les tisseuses réalisent des sacs traditionnels que la plupart des villageois portent en bandoulière. Les couleurs et les motifs du sac sont aussi caractéristiques de son propriétaire.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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  • Le tissage traditionnel, un savoir-faire unique au monde

    Le tissage traditionnel, un savoir-faire unique au monde

    L’habillement traditionnel est entièrement le fruit du travail des tisserandes (ou tisseuses). Savoir-faire unique au monde, fondé sur une technique complexe et minutieuse, le secret des combinaisons de motifs se transmet de génération en génération. Leur arrangement et leur disposition expriment un langage tacite que chacun porte sur soi et lit inscrit sur les vêtements des autres.

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    Le code vestimentaire karen dépend des situations individuelles. Il permet aux uns et aux autres d’exprimer ce qui pudiquement ne se dit pas : la situation affective, la provenance, les traits de caractères… Les techniques mises en œuvre pour réaliser les motifs caractéristiques font intervenir un ensemble de tiges et de fils agencés différemment.

    Aujourd’hui, l’industrie textile thaïe permet aux foyers de trouver des tenues à meilleur marché que leurs tenues d’autrefois. L’habillement traditionnel est malgré tout porté pendant les fêtes ou toute occasion de vie communautaire, et les plus âgés continuent de le porter au quotidien. La proportion des tenues “modernes” est très variable suivant le degré de contact des villages avec la société thaïe. L’habit reste la marque d’un attachement culturel et identitaire important pour la grande majorité des Karens.

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  • Retour d’un volontaire à Mae Woei Clo deux ans après …

    Retour d’un volontaire à Mae Woei Clo deux ans après …

    —- par Florian, ancien volontaire MEP —-

    J’ai été volontaire MEP avec l’association Terres Karens dans le village de Mae Woei il y a deux ans. Expérience évidemment marquante s’il en est ! Le hasard des études et du début de la vie professionnelle m’ont donné l’opportunité d’effectuer un long voyage en Asie du sud-est récemment, l’occasion rêvée pour moi de refaire un petit passage dans mon village préféré.

    Deux ans plus tard, ce retour se résume pour moi en deux mots : désemparement et espoir.

    Désemparement, car plusieurs aspects de la vie et de la situation des Karens dans cette région sont toujours préoccupants et parfois révoltants. L’accès aux soins est toujours difficile pour les villages les plus reculés. Lors de mon passage chez les Filles de La Croix à Mae Tan – qui effectuent un travail extraordinaire auprès des villages de montagne alentour, je croise un homme atteint de la lèpre suivi depuis peu par Sœur Diane. Maladie d’un autre siècle pour nous français… Et pourtant, visiblement cela faisait trois ans qu’il était atteint et que l’hôpital de Mae Tan était incapable de le diagnostiquer et donc de le soigner en conséquence. La maladie a bien sûr eu le temps de progresser, jusqu’à atteindre un stade dramatique récemment, ce qui a nécessité toute l’efficacité des Sœurs et de leurs connaissances sur place pour réagir et tenter d’engendrer rapidement la progression de la maladie. La route est donc encore longue pour garantir des soins dignes de ce nom dans la région.

    Désemparement encore, car l’accès à l’éducation et la possibilité d’étudier sont toujours un combat de tous les jours à cause de la difficulté à fournir aux enfants des montagnes les moyens d’étudier. Par exemple, il y aurait besoin de construire un centre d’hébergement à Mae Tan pour accueillir les jeunes villageois et ainsi leur permettre d’étudier dans les collèges et lycées de la ville. Sans cette capacité d’hébergement, les jeunes sont bien souvent obligés de stopper leurs études après la dernière année représentant le minimum légal (équivalent de la 3e chez nous). Un tel centre a bien évidemment un coût et pour le moment les ressources manquent.

    Désemparement toujours, car malgré la bonne volonté, de l’intelligence dans la direction des projets, une connaissance des besoins locaux et une vraie efficacité, il n’est pas toujours facile de mener à bien ou de maintenir certains développements. Concrètement, l’Etat Thaï met parfois quelques bâtons dans les roues ou tente de récupérer à son profit des initiatives pour faire un peu de démagogie et montrer les effets de ses politiques de développement. Ce n’est pas plus le grave, mais il y a déjà tant à faire pour ne pas en plus perdre du temps en soucis administratifs.

    Dans le même temps, ce retour m’a aussi rempli d’espoir car en seulement deux ans beaucoup de belles choses se sont produites et de nets changements sont à relever, notamment à Mae Woei. Tout d’abord, la coopérative Terres Karens s’est nettement développée. Il y a désormais des couturières supplémentaires et leur niveau technique et leur efficacité se sont nettement améliorés. Cela permet de réaliser plus de produits sur place au lieu de les faire produire dans d’autres ateliers, et le « débit » de production est plus élevé ce qui fait que les volontaires se retrouvent même parfois en pénurie de lés pour confectionner les produits ! Cela est d’une certaine façon problématique, mais c’était pour moi une grande surprise, plutôt positive, car à l’époque de ma mission, le rythme de tissage dépassait largement la demande de produits et la capacité de production de l’atelier, et nous étions débordés par les rachats de lés qui s’accumulaient. Cela n’était pas pérenne et nous avions parfois l’impression d’acheter les lés par charité, sans réel sens économique. De cette façon, je pense que le projet s’est pérennisé et équilibré. Ensuite, des panneaux solaires ont été posés sur les bâtiments de la coopérative, ce qui facilite la vie des volontaires pour la gestion qui se fait essentiellement sur ordinateur.

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    De plus, grâce à un formidable effort de démarchage, un projet de petite centrale hydroélectrique alimentée par une rivière alentour est à l’étude avec une entreprise française et une ONG américaine. Le projet est en bonne voie et il permettra à terme d’alimenter le village pour améliorer les conditions de vie mais aussi, sans doute, des machines à coudre électriques pour la coopérative, ce qui fera encore progresser la qualité et la quantité de confection (et oui, pour rappel tout est encore fait à la force du mollet à Mae Woei, avec un petit plateau sur lequel on « pédale » pour faire tourner les vieilles Singer d’une autre époque !).

    Enfin, pour le village en général, notamment grâce à la présence d’Enfants du Mékong, l’école fonctionne toujours bien : les enfants y suivent le début de leur scolarité avec des professeurs de Mae Woei avant d’aller la poursuivre en ville. Le pensionnat de l’école permet également l’accès à cette chance aux enfants de villages autour de Mae Woei.

    J’ai également été personnellement touché, car Semouklemo, une couturière que j’adorais particulièrement pour sa gentillesse et sa joie de vivre, a enfin pu faire construire une maison décente grâce à son salaire Terres Karens. Vivant seule avec sa fille depuis le départ de son mari, elles partageaient un taudis en bambou à peine vivable. Elles ont désormais une petite maison qui, même si elle reste modeste même au regard des standards karens, offre un peu plus de confort et surtout de sécurité et de salubrité. Une belle illustration d’impact positif concret du projet qui encourage à continuer de le soutenir !

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    Comme toujours, il y a beaucoup de joie à voir les rires et les sourires des villageois, toujours aussi chaleureux et accueillants, qui vous offrent souvent le peu qu’ils ont et vous font partager des moments qui semblent faire tomber toutes les barrières de langue, de culture et de tradition. Les Karens sont définitivement des personnes qui méritent notre attention, notre soutien et notre amour.

    Continuez donc à soutenir Terres Karens et Enfants du Mékong ! L’impact sur place est réel car les projets sont ancrés dans la vie locale, voués à donner les clés de leur propre réussite aux villageois, respectueux du mode de vie et des traditions karens et porteurs d’avenir pour les enfants. Mais les besoins sont toujours bien présents, donc pas le temps de se reposer sur ses lauriers. Finalement, le désemparement doit laisser la place au goût du défi pour nous pousser à agir toujours et à aider autour de nous ceux qui en ont besoin !

  • Organisation sociale et politique 2/3

    Organisation sociale et politique 2/3

    La vie politique dans les villages karens

    Autrefois, le village était sous l’autorité absolue du conseil des anciens et d’un chef de village. Le collège des plus âgés de chaque famille se réunit, discute et prend ses décisions ensemble. En cas de désaccord, c’est l’avis de la majorité qui l’emporte, ou de celui qui a été choisi pour être le chef des anciens. Le conseil des anciens n’a pas le pouvoir exécutif, il revient au chef du village, élu par tous. Au sein du conseil des anciens siège en outre le chef religieux, qui a un rôle de conseiller.

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    Aujourd’hui, il faut ajouter à ce gouvernement traditionnel un système de représentation politique du gouvernement thaï hérité de la politique de concentration du pouvoir des années 60. Il permet théoriquement aux karens d’être les électeurs de la vie politique de leur village : ils doivent élire un maire, ou “oboto”, et son conseil municipal. Les karens en âge de voter étant peu nombreux dans leurs villages, le maire est le plus souvent responsable de l’administration de plusieurs villages.

    Les “obotos” se réunissent entre eux pour prendre les décisions concernant la vie des villages et allouer les budgets émanant du gouvernement central.

    En particulier, ils sont responsables de la construction des infrastructures comme la construction de routes, l’installation de lignes électriques…

    Le dernier fonctionnaire qui participe à la vie politique du village est le “nayo”. Il est nommé par le gouvernement pour le représenter : il est donc l’incarnation de l’autorité royale, et se charge du respect des lois et de la sécurité.

     

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